Juliette Drouet

Comédienne et diariste française

Lithographie d'Alphonse-Léon Noël, 1832
Lithographie d'Alphonse-Léon Noël, 1832

Née le 10 avril 1806 à Fougères, décédée le 11 mai 1883 à Paris, à l’âge de 77 ans.


D’origine modeste et bretonne, Juliette Drouet, née Julienne Gauvain, est restée célèbre grâce à Victor Hugo, dont elle fut la maîtresse pendant cinquante ans : elle déclarait elle-même vivre dans son ombre. Maîtresse absolument fidèle d’un amant infidèle, elle est entrée dans la légende comme un prototype de victime du pouvoir masculin. Ce n’est pas entièrement faux ; mais on est en train de découvrir un tout autre aspect d’une femme dont la légende a méconnu le réel talent.

Orpheline à un an, élevée par un oncle et placée dès l’enfance au couvent, pour lequel elle n’avait aucune vocation, Juliette mena ensuite une vie chaotique, usant de sa très grande beauté et des myriades d’admirateurs que celle-ci lui suscita. Elle posa comme modèle pour des artistes, comme le sculpteur James Pradier dont elle eut une fille, Claire. Elle s‘essaya au théâtre, à Paris puis à Bruxelles : sa plastique faisait merveille mais ses talents de comédienne peinèrent à convaincre la critique et le public, malgré ses efforts. Elle eut alors des liaisons tapageuses de croqueuse de diamants, avec le prince Demidoff par exemple. Elle était aussi capable par générosité de se laisser plumer par un amant sans scrupule comme le journaliste Alphonse Karr.

 

Bref la jeune comédienne, notoirement femme entretenue, semblait en danger quand en 1833 elle rencontra Victor Hugo en jouant un petit rôle dans sa pièce Lucrèce Borgia. Le poète était alors en pleine gloire, reconnu comme le chef de l’école romantique depuis Hernani ; mais sa femme Adèle Hugo, mal assortie à cette force dévorante, lui avait préféré son meilleur ami, Sainte-Beuve, et lui avait rendu sa liberté amoureuse, sous couvert du maintien de la famille Hugo autour de leurs enfants.

 

La rencontre de Juliette fut, pour lui comme pour elle, un éblouissement. Ce fut un amour de cinquante ans, après des débuts orageux. Il décida de la sortir définitivement du demi-monde et travailla comme un fou pour payer ses dettes, qui étaient astronomiques. Juliette, elle, entra en amour comme en religion, renonça au théâtre et vécut sévèrement cloîtrée pendant une douzaine d’années. Au moment du coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte, elle se comporta héroïquement, sauvant Hugo devenu républicain et menacé de mort, puis l’aida à fuir à Bruxelles ; elle vécut à côté de lui pendant les dix-neuf ans d’exil à Jersey et Guernesey. Après la mort d’Adèle Hugo et le retour à Paris, en septembre 1970, elle finit par devenir sa compagne et par vivre avec lui dans la dernière demeure, avenue d’Eylau. Elle souffrait de ses trahisons, tenta deux fois de s’enfuir : il était affolé quand elle disparaissait et elle finissait par lui pardonner.

 

Pendant toute ces années, Juliette avait pris l’habitude, pour tromper les longues journées d’attente de son amant, de lui écrire ses « restitus », des lettres – une ou deux par jour – où elle lui contait sa vie pourtant monotone, se lamentait de ne pas le voir plus souvent et plus longtemps, commentait les œuvres de Victor dont elle était une lectrice enthousiaste, lui faisait des scènes de jalousie généralement fondée… On compte aujourd’hui environ 22 000 lettres répertoriées dans les collections publiques. Et ces lettres forment un véritable journal épistolaire, qui fourmille de renseignements de première main sur l’époque, le théâtre, sur la vie et l’œuvre de Hugo ; sur la vie d’une femme au XIXe siècle ; sur elle-même, personnage extrêmement attachant, forte et fragile, honnête et généreuse. Mais aussi fort cultivée et intelligente. Juliette écrit fort bien, au point que certaines de ses lettres ont directement inspiré le poète ; elle couvre un registre très varié, amoureuse et parfois érotique, capable aussi de beaucoup de drôlerie et de malice. Et à la lire on comprend que c’est elle qui, en grande partie, a placé sans discontinuer Victor Hugo au plus haut de son génie. Voilà pourquoi il ne pouvait pas se passer d’elle.

La meilleure source pour connaître Juliette Drouet est la publication, en cours et en libre accès, de l’intégralité de ses lettres sur le site conjoint de l'Université de Rouen et de la Sorbonne (juliettedrouet.org) où on peut lire plus de 10 000 lettres de Juliette Drouet.

 

Article de Nicole Savy 

Nicole Savy est historienne de la littérature, spécialiste de Victor Hugo, groupe Hugo Paris-Diderot-CERILAC, ancienne chef du service culturel du musée d’Orsay. 

 

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18 janvier 1839

C’est toi qu’il faut plaindre, admirer et aimer car tout ce que tu fais est au-dessus des forces et de l’intelligence humaines : travailler toutes les nuits et passer toutes tes journées à créer des chefs-d’œuvre que toutes nos admirations ne sauraient atteindre même en les mettant les unes au bout des autres. Je t’aime d’en bas, du fond de l’ombre sans oser regarder à ta tête pour ne pas être éblouie et prise de vertiges. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime. C’est par cet escalier d’amour que je monte jusqu’à ton cœur sans vouloir aller plus loin, car là c’est mon ambition, mon trône et mon ciel, c’est toutes les richesses et tous les bonheurs, enfin c’est ma vie. Donne-moi ta bouche divine que je la baise de toute mon âme. Je voudrais te voir tout de suite.

 

Juliette Drouet

Correspondance avec Victor Hugo 

A lire

27 juillet 1841

Bonjour vilain monstre, bonjour voleur, scélérat, filou et bandit. Non content de me voler toutes mes affaires, vous m’avez pris encore mon mouchoir blanc pour me laisser votre sale. Mais comme c’est spirituel, mon mouchoir est marqué à mon nom et se trouvera perdu chez vous comme déjà deux de mes plus fins et de mes plus neufs. Si vous vous croyez drôle vous vous trompez, MA PAROLE D’HONNEUR. Taisez-vous, vous êtes un monstre et je ne vous dirai pas l’âge du capitaine Lambert.
Comment allez-vous, scélérat ? Votre fièvre a-t-elle enfin disparu ? Il ne manque plus que d’être malade à présent pour mettre le comble à vos turpitudes. Tâchez un peu de vous guérir bien vite ou je vous ficherai des coups à tort et à travers.

 

Juliette Drouet

Correspondance avec Victor Hugo

Double portrait de Juliette Drouet par Arsène Garnier, 1868
Double portrait de Juliette Drouet par Arsène Garnier, 1868

 

Juliette Drouet agrémentait souvent ses lettres de petits dessins, dans lesquels  souvent elle se caricature elle-même, ainsi que Victor Hugo, en voici quelques uns.

1— 1er janvier 1841 © Maisons Victor Hugo/ Ville de Paris. 2  10 avril 1842 Bnf . 3 — 9 février 1843 © Bnf. 4 —19 janvier 1846 © Bnf. 5 —  1er mars 1849 © Coll privée/Musée ddes lettres et manuscrits, Paris. 6 — 15 avril 1855  Bnf.  7 — 30 Août 1856 © Bnf. 8 — 30 décembre 1865 © Bnf.