Traductrice, journaliste et résistante tchécoslovaque
Née le 10 août 1896 à Prague, décédée le 17 mai 1944 à Ravensbrück, à l'âge de 47 ans.
Milena Jesenská est connue du grand public essentiellement à cause de sa relation et de sa correspondance avec Kafka, et comme souvent le grand homme fait de l'ombre à la grande femme. Intellectuelle et femme engagée, Miléna Jesenská est passionnante bien au-delà de la fascination qu'elle a exercée sur l'auteur de La Métamorphose. Journaliste, traductrice, féministe, un temps communiste, résistante, elle est arrêtée dès 1939 et déportée à Ravensbrück.
Elevée dans une famille cultivée, Milena Jesenská perd sa mère, artiste à la santé précaire, à l'âge de treize ans. Son père, stomatologue l'idolâtre en même temps qu'il est très autoritaire. Elle fréquente le lycée Minerva, premier lycée pour jeunes filles de Prague. Elle entame ensuite des études de médecine, mais elle a une liaison avec Ernst Pollack dont elle tombe enceinte, après un avortement périlleux, son père la fait interner. Pour la faire sortir de l'hôpital, Ernst Pollack l'épouse et le couple s'installe à Vienne, mais Pollack a déjà une maîtresse et Milena est malheureuse.
Pour se libérer de cette relation nocive, Milena Jesenská commence à travailler comme traductrice et professeure. En 1919, elle découvre une nouvelle de Franz Kafka et devient sa première traductrice tchèque. C’est le début d'une correspondance et d'une relation passionnées même si Jesenská et Kafka ne se rencontrent que deux fois : quatre jours à Vienne et un jour à Gmünd. Kafka et Jesenská se comprennent profondément et s'admirent mutuellement. Mais cette relation plonge Kafka dans trop d'angoisse et il y met fin en novembre 1920. Elle sera cependant celle à qui il confit son journal et la Lettre au père. Les lettres écrites par Milena Jesenská ont disparu, cependant on en devine souvent la teneur dans les réponses de Frantz Kafka.
Elle a traduit plusieurs nouvelles de Kafka, mais de plusieurs auteurs germanophones et français (Jules Laforgue, Guillaume Apollinaire, Romain Rolland...) Entre 1920 et 1923, elle entame une carrière journaliste pour plusieurs journaux à Prague. Elle s'occupe d'abord de mode et de décoration, en livrant toujours des réflexions féministes et philosophiques sur ses sujets, puis se tourne vers le journalisme politique.
En 1926 Milena Jesenská épouse l’architecte Jaromir Kreicar avec lequel elle a une fille, Jana Cerna, qui a écrit une biographie sur sa mère. Elle divorce une seconde fois, quelques années plus tard.
Après avoir adhéré au parti communiste au début des années 1930, Milena en est radiée en 1936 parce qu’elle critique Staline. Dans les années qui suivent, elle publie dans la revue Prítomnost («Le Présent») un certain nombre d’articles politiques dénonçant l’idéologie nazie. Après l’entrée des troupes allemandes à Prague en mars 1939, Milena s’engage dans la Résistance, au sein d’une organisation d'entr'aide et un réseau d'évasion vers la Pologne. Dans ces moments, comme tout au long de sa vie elle fait preuve d'une liberté d’esprit et un courage immenses.
La Gestapo l'arrête en novembre 1939 et en 1940 elle est déportée à Ravensbrück, où elle travaille comme infirmière, et apporte un soutien psychologique et moral aux autres prisonniers. C'est là qu'elle rencontre Margarete Buber-Neumann qui devient son amie et son amante. Elle meurt à Ravensbrück le 17 mai 1944 payant de sa vie son engagement aux côtés des opprimés, juifs, communistes, antifascistes. L’état d’Israël lui a exprimé sa reconnaissance en l’honorant comme « Juste parmi les nations ».
En 1919 elle raconte un rêve qu’on peut qualifier de prémonitoire : « Quelque part lorsque la planète tout entière a été frappée par la guerre, d’interminables trains quittaient la gare l’un après l’autre… le monde se transformait en un réseau de voies ferrées emportant des êtres affolés, des êtres qui avaient perdu leur maison et leur patrie. Enfin, les trains s’arrêtèrent au bord du vide. Contrôle ! tout le monde descend ! hurla un préposé… Un douanier s’approcha de moi. Je regardais son papier déplié. Je lus, écrit en vingt langues différentes : Condamnés à mort. »
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Extrait de sa dernière lettre écrite à Ravensbrück
« Les colis sont un vrai miracle, et nous les attendons toutes fébrilement. Une chose est d’avoir faim et une autre chose d’avoir faim pendant quatre ans. Je dois l’avouer, la nourriture a pour moi une importance qu’elle n’avait jamais eue avant. Parfois, je ne supporte pas de voir quelque chose qui me fait envie : moi, je le supporte très bien, mais mon estomac, ma salive ne le supportent pas. En fait, on ne se connaît pas soi-même. J’ai parfois des sentiments, des désirs, des pensées – un brigand, un homme complètement primitif et barbare n’aurait pas à en rougir, mais moi ? Bien sûr, je parviens toujours à me dominer, mais c’est parfois si difficile! Mon Dieu ! Je te remercie tellement de m’éviter les pires souffrances de la faim. Tu sais, tu n’as pas idée de ce que représentent les colis, il n’y a pas que la nourriture, dans chaque colis, on entend aussi la voix de la sollicitude, de la tendresse, de la gentillesse, c’est aussi précieux que toute une fortune. Peut-être qu’il se rapproche doucement, le moment où je pourrai de nouveau manger des knödel. »