Emily Dickinson

Emily Dickinson naît à Amherst une ville universitaire de l'État du Massachusetts fondée par des puritains (courant religieux protestant) anglais, dont faisaient partie les ancêtres de la poétesse. 

Son grand-père est l'un des fondateurs de l'Université de Amherst et Emily Dickinson baigne dans un milieu cultivé qui côtoie de nombreux intellectuels et écrivains de l'époque accueillis dans la vaste demeure des Dickinson. 

Elle suit pendant sept ans les cours du Collège d'Amherst qui vient d'ouvrir ses portes aux filles. Elle s'y fait des amies pour la vie, Abiah Root, Abby Wood, Jane Humphrey, Susan Huntington Gilbert (qui épousera son frère Austin), ainsi que la future femme de lettres Helen Maria Hunt Jackson, autrice entre autres de Ramona, roman qui dénonce les discriminations raciales subies par les amérindien·nes. 

Emily Dickinson entretiendra avec chacune toute sa vie une importante correspondance. Elle suit ensuite pendant dix mois le séminaire du  Mount Holyoke Female Seminary qui va bientôt devenir une université pour femmes, mais sa santé fragile l'oblige à rentrer chez elle.

Nous sommes en mars 1848, Dickinson a 18 ans, elle commence par suivre la voix tracée pour son sexe et prend en charge une partie des activités domestiques, en même temps qu'elle participe à quelques activités extérieures, tout en se nourrissant de la vie intellectuelle qui l'entoure. Elle lit et étudie par elle-même et débat dans sa correspondance de ses idées et réflexions philosophiques. 

La découverte de la doctrine transcendantale  et des écrits de Ralph Waldo Emerson vont être un tournant majeur dans la construction de sa pensée. Dans le sillage de Kant, le transcendantalisme conçoit l'être humain et la nature comme fondamentalement bons et la société et ses institutions — particulièrement religieuses et politiques — comme corrompant la pureté de l'être humain, il encourage donc à developper une pensée autonome et une relation respectueuse et individuelle avec la nature considérée comme une entité divine.  Dickinson a sans doute aussi lu Sarah Margaret Fuller, co-fondatrice avec Emerson de la revue The Dial, figure majeure du transcendantalisme et pionnière du féminisme américain qui prône l'indépendance des femmes.

Emily Dickinson entame alors un exceptionnel parcours personnel hors des sentiers battus. Elle commence par prendre ses distances avec l'église n'assistant presque jamais aux cérémonies religieuses, fait le choix d'un célibat qui lui permet la vie intérieure et intellectuelle à laquelle elle aspire, et écrit. Préférant à tout son monde intérieur, elle va au fil des années s'isoler du monde, mais si sa vie semble, de l'extérieur, solitaire, son univers mental est lui très peuplé.

(…) des tas de gens — me rendent visite — 

Une Compagnie non inscrite — 

Qui se fiche bien des Clés — 

(…)

Leur venue, elle peut être connue 

Par le courrier intérieur — 

Mais leur départ — que nenni — 

Car il ne sont jamais partis —

Elle partage pendant plusieurs années son temps entre la cuisine, qu'elle fait pour toute la famille, le jardinage, on admire son jardin foisonnant, et son activité littéraire.

Elle envoyait à ses ami·es de nombreux bouquets auxquels elle accrochait des poèmes. 

Si les sots les appellent « fleurs » — 

Ceux qui sont plus malins doivent-ils dire cela ? 

Si les Savants les rangent en « Classes » 

Ça ne change rien !

Cependant, peu à peu, elle se retire dans sa chambre, ne parlant le plus souvent à ses interlocuteurs et interlocutrices qu'à travers la porte.

Presqu'exclusivement vêtue de blanc, sans doute en opposition à la couleur noire dont s'habillait les puritains, elle est considérée comme une excentrique et surnommée la « Reine Recluse ».

Sa production littéraire est prodigieuse, elle écrit plus de mille huit cents poèmes, dont seule une douzaine a été publiée de son vivant. Ses textes, hantés par la mort, mais aussi sorte de journal intellectuel et intime,  sont souvent brefs. Elle se soucie peu de rimes et utilise  les tirets de façon très libre et créative pour à la fois rythmer et préciser sa pensée. Sa poésie dense, pleine de mystère et de non-dits, mais aussi d'audace et de non conformisme mettra du temps à être reconnue. Concernant son travail, elle oscillait entre doute et conscience de produire une œuvre. 

Un mot se meurt quand on le prononce 

Dit-on — 

Et moi je dis qu'il ne commence à vivre 

Qu'à cet instant

Si son entourage sait qu'elle écrit, sa correspondance est aussi très fournie, elle est loin de se douter de la quantité et de la qualité de ses écrits.

Dickinson dissimule ses textes dans une cachette qui ne sera découverte par sa jeune sœur Lavinia qu'après sa mort. Après cette découverte, sa famille et ses amies, publie une partie de ses textes, mais en en modifiant le contenu, ce n'est qu'un 1955 que paraît une véritable édition des poèmes de Dickinson et qu'elle peut être dès lors considérée comme une immense poétesse.

Ils m'ont enfermée dans la Prose —

Comme lorsque j'étais une petite fille 

Ils m’enfermaient dans le Placard —

Parce qu'ils me voulaient "calme"

Calme ! S'ils avaient pu jeter un œil —

Et espionner dans mon esprit — le visiter —

Ils auraient aussi bien pu enfermer un Oiseau

Pour trahison — à la fourrière —