Tâhereh

Poétesse, théologienne et pionnière du féminisme iranienne

Portrait imaginaire © I Stefan Back
Portrait imaginaire © I Stefan Back

Née vers 1817-18 à Qazvin (à l'ouestdeTéhéran), décédée le 27 août 1852 à Téhéran, à l’âge d'environ 34 ans.


Tâhereh Ghorrato l’Ayne, dite Tâhereh, est une poétesse, une théologienne iranienne et une pionnière du féminisme qui vécu au XIXe siècle.

Elle naît dans une famille religieuse, son père est un spécialiste du Coran, elle reçoit une  éducation qui couvre de nombreux domaines, ce qui est exceptionnel pour une fille à l’époque où le simple apprentissage de la lecture (pour les filles) est extrêmement controlé et largement déconseillé.

Il semble que ce soit son frère admiratif de ses facultés intellectuelles qui ait été son professeur. Elle étudie la théologie, l’exégèse coranique, la jurisprudence et la littérature persane et arabe et son père accepte qu’elle suive les cours et séances de discussions qu’il donne, cachée derrière un rideau. Toujours cachée, elle participe aux discussions et aux argumentations théologiques, son éloquence et sa connaissance de la littérature  impressionnent, elle se fait une réputation d’érudite.  

Mariée à un de ses cousins à l'âge de 14 ans, elle accompagne son époux en Irak où ce dernier poursuit ses études. Le couple va vivre durant 13 ans à Karbala. Elle aura quatre enfants. Les tensions sont importantes dans le couple, mais Tâhereh continue de s’instruire et de s’affirmer comme penseuse.

De retour en Iran, elle s’impose comme oratrice et théoricienne. Elle a une vison messianique du monde, c'est-à-dire qu'elle pense qu’une ère nouvelle est en gestation. Ses idées réformatrices déplaisent profondément à son mari. Elle le quitte ainsi que sa famille et retourne en Irak où elle avait noué des contacts avec plusieurs intellectuels dont Seyyed Kâzem Rachti qui lui avait donné le titre de Ghorratol ‘Ayne (consolation des yeux) en reconnaissance de son érudition. Mais celui-ci meurt avant qu’elle ait pu rejoindre l’Irak. Installée chez sa veuve, elle va le remplacer en donnant des cours derrière un rideau. Elle se tourne vers un nouvel Islam, le babisme dans lequel Dieu étant en tout, donc tout étant Dieu, les hiérarchies s’effacent. Elle devient une des dix-huit disciples du babisme.

Le babisme est fondé par Sayyid ʿAlī Muḥammad Šīrāzī, celui-ci, sans l’avoir jamais  rencontrée, mais l'ayant lue, prend la défense de Tâhereh et déclare à ses détracteurs qu’il doivent « accepter sans poser de questions tout ce qu’elle pourra dire, car ils ne sont pas en mesure de comprendre ni d’apprécier sa position » et il donne à celle qui s’appelle encore Fāṭimih Baraghān le titre de « Djenâb-é Tâhereh », Son Excellence, la Pure. 

 

En plus des idées théologiques qu’elle développe dans ses interventions, Tâhereh écrit de la poésie, une poésie lyrique et incarnée, soit religieuse consacrée à la révélation du babisme, soit  amoureuse et traversée de sa condition de femme. Elle s'adresse souvent à un Toi divin auquel elle se confie :

 

Si jamais je me trouvais face à Toi,

je Te raconterais mon chagrin  

mot par mot, point par point. 

(in Sur l'étoffe de mon âme)

 

Et dépeint l'amour comme une force émancipatrice et révélatrice :

 

Je suis devenu Toi, Tu es devenue moi

(…)

L’Amour dressa son drapeau dans mes ruines
et envoya son messager à la porte de mon Aimé. 

Il versa le vin de la Vérité dans ma coupe
et me voici étrangère à moi-même et au monde. 

(in Je suis devenue tout)

 

Elle est soutenue dans ses actions par plusieurs femmes, comme Marzieh et Khorshid Beygum Khanum, Roustameh, épouses ou sœurs des autres disciples du babisme et elles-mêmes pionnières de l’émancipation des femmes.

 

Elle voyage beaucoup et fait de nombreux séjours en Iran. Lors d’un de ces séjours son oncle, opposant farouche au babisme est assassiné, elle est accusée du meurtre, dont elle sera innocentée, mais en attendant elle est assignée à résidence dans la maison de son père. Elle réussit à s’en évader et s’enfuit à Téhéran, puis va errer à travers l’Iran se cachant dans les différentes maisons qui l’accueillent. `

 

« j’ai erré partout comme le vent, rue par rue, 

maison par maison, porte par porte. »

écrit-elle dans le poème Dans les bras du vent.

 

Sayyid ʿAlī Muḥammad Šīrāzī, dit le Bâb, est arrêté à son tour. Au cours de l’été 1848, Tâhereh participe à la conférence organisée pour demander sa libération. Et là devant une foule médusée, elle enlève son voile qu'elle jette par terre. C’est un scandale tel qu’un des témoins de son geste se tranche la gorge. Elle est arrêtée. Dans le poème intitulée Tâhereh lève le voile, elle écrit :

 

Tâhereh, lève le voile
pour que le Mystère se révèle !

Et dans Libre de tout voile, elle poursuit :

Maintenant regarde mon visage de l’œil de ton cœur

et vois la Face de Dieu libre de tout voile ! 

 

Le jeune roi de Perse Náṣiri’d-Dín Sháh Qájár fasciné par son éloquence et son courage, la demande en mariage, elle refuse. Il ne prend donc pas sa défense quand ses ennemis demandent sa tête, et plus tard il persécutera les babistes.

 

Tâhereh est condamnée à mort. Le jour de son exécution, elle déclare : 

 

« Vous pouvez me tuer quand vous voulez, mais vous ne pouvez pas empêcher l’émancipation des femmes. » 

Dans le poème ci-contre, Tâhereh développe des idées d'une modernité qui n'a pas pris une ride.

 


"La tyrannie sera terrassée par la main de l’égalité. "

 

In L’Aube véritable

Tâhereh

 



 

 

 

L’aube véritable 

 

Prends garde !
L’aube véritable s’apprête à respirer ! 

Le monde va s’éclairer
et nos âmes vont s’illuminer ! 

 

Nul cheikh ne siégera plus 

sur le trône de l’hypocrisie ! 

Nulle mosquée ne fera plus 

commerce de la piété ! 

 

Leurs turbans seront tous défaits ! 

Il n’y aura plus de cheikh,
ni de tricheur, ni de faux dévot ! 

 

Le monde se débarrassera
de ses illusions et de ses superstitions. 

Le peuple se libérera
de ses phantasmes et de ses obsessions ! 

 

La tyrannie sera terrassée par la main de l’égalité. 

L’ignorance sera démolie par la force de la vérité. 

La justice étendra son tapis en tout lieu
et l’amitié plantera ses arbres partout ! 

 

L’animosité sera bannie du monde entier, 

et la confrontation cédera à la cohabitation !